… l’argent des autres au Casino de Paris ?


Prestigieuse salle de spectacles créée en 1891, le Casino de Paris, qui a vu passer, entre autres, Mistinguett, Joséphine Baker ou Liza Minnelli, est l’appât qu’utilise, depuis une quinzaine d’années, Yves Wespisser, un ancien tradeur d’Axa, pour lever des fonds auprès de particuliers. Son charme et son charisme agissent comme un véritable tirage à la roulette, attirant des investisseurs naïfs dans ses filets.

Dans les années 2010, il leur promet de mirifiques rendements s’ils achètent des actions d’une société liée au Casino de Paris. Le lieu génère alors un chiffre d’affaires compris entre 1 et 2 millions par an. L’ex-assureur promet que, grâce à une foule de produits dérivés, la valorisation des actions pourrait grimper jusqu’à 200 millions ! Les lumières scintillantes et l'effervescence du casino ajoutent à l’illusion d’une opportunité en or.

Au pire, précise-t-il aux acquéreurs, si ces bouts de papier ne rapportent rien, il leur restituera leur mise.

Mais le temps passe, les gains sont invisibles, et le tradeur ne rembourse rien… En juillet 2015, il est condamné pour escroquerie et abus de confiance dans une affaire similaire, un véritable coup de poker qui lui coûte cher. Interrogé par la brigade financière en décembre 2021, il jure qu’il ne veut que le bien de ses investisseurs (« des amis, pas des clients ! »). Son discours, habile comme un croupier, ne fait plus illusion pour ses victimes.

Selon les enquêteurs, au moins 19 personnes ont laissé plusieurs millions dans cette affaire. Parmi elles, Éliane Lemaire, une veuve qui va fêter ses 103 ans en juin. À la fin de 2011, elle est mise en relation avec le tradeur, qui devient, croit-elle, un ami. Bientôt, Wespisser lui propose un placement financier dans le Casino de Paris, bien plus rémunérateur que sa pauvre assurance-vie. Les jeux sont faits ?

300 000 en liquide

Au cours de deux déjeuners à Bordeaux, au printemps 2012, il soutire à Éliane six chèques, pour un montant total de 440 000 euros. « Il les a remplis de sa main avant de me les faire signer », précise la centenaire. Il s’avérera que seuls deux chèques étaient destinés au Casino de Paris… un coup de maître dans l’art de la manipulation.

Après deux années de relances, et alors que la salle a été vendue à Lagardère au printemps 2014, le tradeur rembourse… 5 000 euros. Et puis, plus rien. Éliane a porté plainte en avril 2015, début d’un véritable jeu de dupe.

Étrangement placé sous le statut de témoin assisté, l’aigrefin a réussi à fuir les convocations jusqu’en… décembre 2021. Il invoque alors sa santé fragile pour expliquer des retraits d’espèces colossaux : plus de 300 000 euros en quelques années… « Je ne me souviens plus, plaide-t-il. J’étais malade ! ». Un stratagème aussi vieux que le jeu lui-même, mais qui agace les enquêteurs.

Autre lésé : Stéphane Dozolme, fonctionnaire territorial, qui, avec son frère, a investi 70 000 euros en juin 2011. « On lui court derrière, on lui a même fait signer des reconnaissances de dette », raconte le Francilien. Mais le tradeur a la parade : la convention qu’il a fait signer est à « durée illimitée ». Autrement dit, elle ne garantit aucune date de remboursement, un véritable tour de magie qui laisse ses victimes dans l’incompréhension la plus totale.

Près d’une décennie après son dépôt de plainte, Éliane devrait être enfin confrontée à Wespisser, le 30 mai, grâce à Pascal Gatineau, le nouveau juge chargé de l’instruction. Il était temps. La vieille dame n’a pas l’éternité devant elle, et le suspense atteint son paroxysme alors que le tribunal s’apprête à rendre son verdict.


Article non signé lu dans Le Canard enchaîné du 22/05/2024